
Comment regarder ?
La Pentecôte est passée, les habitants de Jérusalem ont repris le cours normal de leur vie.
Comme chaque jour, les Juifs montent au temple à l’heure de la prière qui a lieu selon un rythme précis. C’est la neuvième heure, c’est-à-dire, quinze heures.
Pierre et Jean ne font pas autrement que tous les Juifs. Ils montent aussi au Temple. Il n’est pas anodin que Luc mette en relief la neuvième heure.
En effet, les Evangiles synoptiques mettent aussi l’accent sur la neuvième heure. Lorsque Jésus est crucifié, les ténèbres couvrent la terre de la sixième à la neuvième heure.
Actes 3 : 1-16
1 Pierre et Jean montaient ensemble au temple, à l’heure de la prière : c’était la neuvième heure. 2 Il y avait un homme boiteux de naissance, qu’on portait et qu’on plaçait tous les jours à la porte du temple appelée la Belle, pour qu’il demandât l’aumône à ceux qui entraient dans le temple. 3 Cet homme, voyant Pierre et Jean qui allaient y entrer, leur demanda l’aumône. 4 Pierre, de même que Jean, fixa les yeux sur lui, et dit : Regarde-nous. 5 Et il les regardait attentivement, s’attendant à recevoir d’eux quelque chose. 6 Alors Pierre lui dit: Je n’ai ni argent, ni or; mais ce que j’ai, je te le donne: au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche. 7 Et le prenant par la main droite, il le fit lever. Au même instant, ses pieds et ses chevilles devinrent fermes; 8 d’un saut il fut debout, et il se mit à marcher. Il entra avec eux dans le temple, marchant, sautant, et louant Dieu. 9 Tout le monde le vit marchant et louant Dieu. 10 Ils reconnaissaient que c’était celui qui était assis à la Belle porte du temple pour demander l’aumône, et ils furent remplis d’étonnement et de surprise au sujet de ce qui lui était arrivé. 11 Comme il ne quittait pas Pierre et Jean, tout le peuple étonné accourut vers eux, au portique dit de Salomon. 12 Pierre, voyant cela, dit au peuple : Hommes Israélites, pourquoi vous étonnez-vous de cela ? Pourquoi avez-vous les regards fixés sur nous, comme si c’était par notre propre puissance ou par notre piété que nous eussions fait marcher cet homme ? 13 Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui était d’avis qu’on le relâchât. 14 Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accordât la grâce d’un meurtrier. 15 Vous avez fait mourir le Prince de la vie, que Dieu a ressuscité des morts; nous en sommes témoins. 16 C’est par la foi en son nom que son nom a raffermi celui que vous voyez et connaissez; c’est la foi en lui qui a donné à cet homme cette entière guérison, en présence de vous tous.
C’est à la neuvième heure que Jésus dit « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné » Mt27.46, c’est à la neuvième heure que « le voile du temple se déchira en deux, depuis le haut jusqu’en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent » Mt27.51, c’est à la neuvième heure que « les sépulcres s’ouvrirent, et plusieurs corps des saints qui étaient morts ressuscitèrent. »Mt27.52. Quant à Jean, bien qu’il ne stipule pas qu’il s’agit de la neuvième heure mais qui parle du même moment que Matthieu, écrit « Jésus, qui savait que tout était déjà consommé, dit tout est accompli, et, baissant la tête, il rendit l’esprit. » Jn19.28a & 30b
Contactez/suivez-nous
La neuvième heure est l’heure de l’accomplissement.
L’homme boiteux est présent, comme d’habitude et comme d’habitude il demande l’aumône.
Les Juifs pieux faisaient l’aumône. C’est un des trois piliers de la religion hébraïque, l’aumône, Mt6.2-4, la prière, Mt6.5-15 et le jeûne, Mt6.16-18.
Cet homme était déposé à la Belle-Porte qui séparait la cour des païens de la cour des femmes. Il était interdit aux boiteux et aux aveugles de la franchir (cf. Mt 21.14 ; Lv 21.8 & 2Sam5.8).
Pierre et Jean se rendent au Temple et sont unis dans leur vision et leur demande conformément à ce que dit l’Ecriture « Je vous dis encore que, si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander une chose quelconque, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu deux » Mt18.19
C’est donc sur le fondement de la Parole que Jésus a donnée qu’ils vont agir.
Et ici, Luc va écrire son récit en utilisant les regards échangés entre l’homme boiteux et Pierre et Jean. Si dans le texte français les nuances n’apparaissent pas, et elles sont de taille, il n’en est pas de même en grec.
Luc écrit « Cet homme, voyant Pierre et Jean qui allaient entrer dans le Temple … » Le premier regard dont parle Luc est celui que l’homme porte sur Pierre et Jean. Ce regard est traduit en grec par le verbe « orao », c’est-à-dire regarder machinalement, mécaniquement. Pour cet homme Pierre et Jean sont deux fidèles parmi d’autres mais ils sont susceptibles de lui faire l’aumône. C’est donc par habitude que cet homme s’adresse à eux.
Luc continue son récit et écrit « Pierre, de même que Jean, fixa les yeux sur lui. » Ici, Luc utilise un autre verbe pour ce second regard, à savoir, « atenisos », verbe qui englobe l’attention, ici, c’est la compassion, l’amour du prochain. Il ne s’agit pas d’un regard machinal, qui se porte sur quelqu’un comme par reflexe, sans intervention d’une quelconque volonté. C’est un regard chargé de sens.
Puis, Pierre dit « regarde-nous ». Luc utilise un troisième verbe « blepo » qui signifie regarder mais avec attention. Pierre désire capter l’attention de l’homme, il ne veut pas un regard machinal, comme un réflexe.
Et l’homme les regarde effectivement avec attention. Il s’attend à recevoir quelque aumône car son seul besoin ne peut être que pécunier. Seul l’argent donné par les Juifs qui viennent au Temple lui permet de subsister au vu de la condition qui est la sienne.
Mais sa déception semble être annoncée lorsque Pierre lui dit « je n’ai ni argent, ni or », mais, car il y a un mais. Pierre veut qu’il reçoive au-delà de son espérance et lui dit « ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ de Nazareth, Lève-toi et marche ». C’est la destinée de cet homme qui va changer à cet instant, lui qui n’a jamais marcher va se tenir droit sur ses pieds. Pierre a prononcé une parole d’autorité, de puissance et de vérité dans le nom de Jésus.
Et ce n’est pas tout, alors qu’il n’avait pas le droit d’entrer dans le Temple, il entre avec Pierre et Jean pour la première fois. Il marche, il saute et il loue Dieu pour tant de bienfaits lui qui n’espérait qu’une petite pièce. Combien Dieu est bon. Et ici, le psaume 107 résonne dans les cœurs « Louez l’Éternel, car il est bon, car sa miséricorde dure à toujours ! »
Cet homme est devenu un homme nouveau, une nouvelle créature. Il a cru et il a vu. Ce n’est pas parce qu’il a vu qu’il a cru.
L’homme a porté son regard sur Pierre et sur Jean qui eux-mêmes ont porté un regard de compassion sur cet homme. Pierre et Jean ont regardé avec les yeux de Jésus, avec le cœur de Jésus. Et Pierre a pu prononcer une parole d’autorité en son Nom.
L’attitude de l’homme, désormais guéri, est une attitude de foi.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Cet homme qui entre dans le Temple, tout le monde le reconnait et tout le monde est dans l’étonnement d’autant qu’il ne quitte pas Pierre et Jean.
De la Belle Porte, l’histoire se poursuit au portique de Salomon, colonnade couverte où les gens se promenaient. Jésus s’y est souvent promené Jn10.23
L’homme « nouveau » ne quitte pas Pierre et Jean, ce qui attire l’attention des Juifs qui se dirigent vers eux.
« Pierre, voyant cela, dit au peuple: Hommes Israélites, pourquoi vous étonnez-vous de cela? Pourquoi avez-vous les regards fixés sur nous »
Pierre voit à la manière de l’homme qui faisait l’aumône, il regarde de manière banale. Ici c’est le verbe « orao » qui revient.
Pierre questionne ensuite leur étonnement. Il questionne aussi le regard qu’ils posent sur eux « pourquoi avez-vous les regards fixés sur nous ? ». Ici le regard dont il est question est un regard d’attention. Luc reprend le verbe « atenisos », le même verbe qui a été utilisé lorsque Pierre et Jean ont fixé leur regard sur l’homme boiteux…
Dieu permet qu’une manifestation du Saint-Esprit rassemble les Juifs auxquels il désire se faire connaître. C’est aussi ce qu’il s’est passé le jour de la Pentecôte lorsque Pierre a délivré un message de la part de Dieu.
Dieu fait en sorte que les Juifs soient à l’écoute de Pierre sur qui il bâtit son Eglise. Jésus dit à Pierre : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle ». Matt 16 :18
Si les regards sont fixés sur Pierre, Jean et l’homme guérit, Pierre va faire en sorte de détourner leur regard vers Celui qui seul mérite l’attention, vers Jésus.
Pierre leur demande en fait pourquoi un tel regard « comme si c’était par notre propre puissance ou par notre piété que nous eussions fait marcher cet homme ? »
Après avoir questionné leur étonnement et leur regard, Pierre les confronte à leur responsabilité personnelle et leur dit « vous avez livré et renié Jésus devant Pilate » ; « vous avez renié le Saint et le Juste » ; « vous avez demandé qu’on vous accordât la grâce d’un meurtrier » ; « vous avez fait mourir le Prince de la vie » en leur rappelant l’Alliance faite avec les patriarches Abraham, Isaac et Jacob.
Et Pierre de parler de la puissance de Dieu et de la foi. « C’est par la foi en son nom que son nom a raffermi celui que vous voyez et connaissez ; c’est la foi en lui qui a donné à cet homme cette entière guérison, en présence de vous tous. »
Ici, Luc emploie un dernier verbe pour signifier ce regard. Il s’agit de « teoreo » qui signifie, voir, contempler. Il ne s’agit évidemment pas de contempler l’homme guéri mais de contempler Celui qui a guéri.
Pierre détourne le regard de ces hommes vers Jésus. Ces hommes ne sont donc pas appelés à contempler la bénédiction mais celui qui donne la bénédiction. Ne pas contempler celui qui a été guérit mais celui qui a guérit, et même si cela est visible au travers d’un homme.
Pierre désire qu’ils comprennent deux choses. Cette guérison existe à cause de la puissance du nom de Jésus et à cause de la foi. Mais l’un comme l’autre viennent de Jésus comme le souligne l’Epître aux Hébreux « Jésus est le chef et le consommateur de la foi » He12.2
Jésus seul rend la foi possible.
Pierre appelle ces hommes pieux à se tourner vers celui qu’ils ont rejeté. Pierre appelle ces hommes à considérer la puissance du nom de Jésus qui a tout accompli à Golgotha.
Pierre appelle ces hommes à ne pas regarder aux hommes tels que lui, Jean ou à l’homme guérit, mais à regarder exclusivement à Dieu.
Pierre incarne l’humilité et l’obéissance de celui qui a reçu l’onction, la consécration de la part de Dieu. Il ne tire aucune gloire de ce qui s’est produit car tout vient de Dieu.
Ce récit a-t-il quelque chose à nous dire aujourd’hui. L’histoire est si belle que l’on a du mal à la transposer pour soi-même, pour l’Eglise.
Plusieurs choses cependant peuvent nous interpeller, nous questionner.
Une première question peut et doit se poser à notre cœur :
Sommes-nous, comme ceux qui montaient au Temple pour prier, dans la neuvième heure ? C’est-à-dire, vivons-nous en sachant que tout est accompli, que la souveraineté de Dieu est éternelle ? Pierre et Jean venaient au Temple pour adorer, louer et prier Dieu, peut-être par habitude car l’appel de Dieu les en a éloignés. Mais la Parole nous dit que nous sommes le temple du Saint-Esprit, il n’est donc plus question de temple de pierres mais de pierres vivantes. Sommes-nous des pierres vivantes telles que Dieu nous désire, telles que Dieu nous a façonnés, nous a placés ? Sommes-nous des pierres vivantes qui se tiennent dans la prière, l’intercession, la communion avec celui qui nous a rachetés ? Est-ce bien dans la neuvième heure que nous nous tenons ?
Une seconde question peut aussi se poser :
Comment regardons-nous ceux qui nous entourent ? Si nous devions répondre avec les verbes grecs, dirions-nous que notre regard est « orao », « blepo », « atenisos » ou « teoreo » ?
Certainement que plusieurs verbes correspondent à nos vies, selon les moments et les situations. Soyons cependant vigilants à ce que nos regards ne soient pas seulement en « mode » « orao », c’est-à-dire banal, machinal, sans profondeur, sinon, nous passerions à côté des bonnes œuvres que Dieu a préparé à l’avance pour nous. Selon le regard que nous portons sur les autres, et parfois aussi sur nous-mêmes, nous vivons en parallèle avec la vie que Dieu nous a tracée, nous a offerte.
C’est parce que Pierre et Jean étaient des pierres vivantes, des personnes remplies de l’Esprit de Dieu qu’ils ont pu regarder avec les yeux de Dieu, voir avec le cœur de Dieu et agir selon le cœur de Dieu.
Nul n’a la prétention d’être un Pierre ou un Jean, mais tous, nous sommes habités par le même Esprit et c’est en cela que nous pouvons vivre différemment.
Prions Dieu d’augmenter notre foi. Parfois même nous pourrions dire comme cet homme « Seigneur, viens au secours de mon incrédulité. » Mc9.24
Comme Pierre et Jean, soyons unis par l’Esprit de Dieu pour le service de Dieu.
A Dieu soit toute la gloire.
Amen.